Actu Théâtre

Lorsqu’Eric-Emmanuel Schmitt contacte la célèbre comédienne Anny Duperey, il a en tête une idée bien précise: lui faire jouer son texte "Oscar et la dame rose" du côté du petit garçon! C’est chose faite, avec brio, comme on le constatera en novembre à Bruxelles. Mais non sans peine...

J’ai mis 8 mois pour apprivoiser le texte! avoue Anny Duperey

Avant elle, les comédiennes Danielle Darrieux et Jacqueline Bir ont déjà prêté leur immense talent à ce texte inouï, en incarnant Mamie Rose. Le rôle le plus difficile échoit à Anny Duperey. Elle s’est mise du côté d’Oscar. Avec elle, on assiste à une toute nouvelle interprétation, encore plus émouvante. En prêtant vie à l’enfant, Anny Duperey retrouve les désespoirs de sa propre enfance. Sur la scène,
Oscar est un garçon de 10 ans atteint d’une maladie mortelle. Il est allongé sur un lit dans une chambre d’hôpital. À son chevet, une bonne fée, Mamie Rose, s’invente un passé de catcheuse pour mieux jouer l’ange gardien et encourager Oscar à confier ses peines à Dieu...

Dans ce rôle, vous succédez à Danielle Darrieux et à Jacqueline Bir ? Les avez-vous vues jouer «Oscar et la dame rose» ?
Je n’ai vu aucune des deux et je m’en réjouis. Cela me permet d’arriver sans a priori, sans comparer. Ce n’est ni un rôle, ni une pièce… C’est un texte avec de nombreux angles possibles. Il faut l’incarner avec ce que l’on est soi-même. Chacun peut l’inventer. Je pense que toutes les actrices qui le joueront auront des versions différentes.

À quoi ressemble votre version ?
Lorsqu’Eric-Emmanuel Schmitt m’a contactée, il avait une idée. Il m’a dit: «je ne l’ai jamais vue jouée du côté du petit garçon». Et, cela fonctionne si bien qu’on n’a eu que deux mots à changer dans toute la pièce. Je pense qu’il avait envie de quelqu’un de tonique, dont l’énergie compense la dureté du texte. J’ai mis presque 8 mois à apprivoiser le texte, j’ai tout de suite perçu que la mémorisation serait épouvantable. La difficulté, c’est qu’il ne faut pas juste le savoir, il faut en être imprégnée car ce sont les mots qui génèrent l’émotion. C’est en réincarnant l’enfant que l’on peut retrouver le fil.

Pour la 1re fois, vous êtes seule sur scène. Flippant ou excitant ?
Je n’aime pas être seule sur scène. Moi, j’adore les partenaires. Je fais du théâtre pour cela, cette camaraderie, cet échange, ce travail en commun. Mais bon... Je suis seule sur scène et, en même temps, je dois jouer Oscar, ses copains, sa petite copine, le médecin, les parents, la dame rose, et puis, je suis le conteur. C’est tout l’univers d’un enfant  qu’Eric-Emmanuel évoque avec infiniment d’émotion, d’humour et de poésie. Et c’est l’histoire d’une douleur, d’une
rédemption et, au final, d’un apaisement.

Pourquoi avoir choisi Joël Santoni, le réalisateur d’«Une famille formidable», pour faire la mise en scène ?
Pour cette pièce qui a trait à l’enfance, j’avais besoin d’un frère, de quelqu’un qui me connaisse jusqu’à l’os. Joël était le seul qui puisse arriver au texte à mains nues. Dès notre première rencontre, nous nous sommes reconnus. Nous  avons été orphelins au même âge, et cette tristesse de fond partagée est pour nous deux un trampoline pour la comédie. On tourne ensemble depuis 15 ans dans «Une famille formidable». Il en résulte une telle complicité dans le travail que je savais qu’il serait un parfait accoucheur pour l’actrice que je suis.

Entre l’écriture, le cinéma et le théâtre: vers quelle discipline votre coeur balance-t-il ?
L’un et l’autre se nourrissent… L’écriture est venue peu après la comédie. À 25 ans, j’écrivais déjà des fictions.  Ensuite, il y a eu «Le voile noir», un récit autobiographique dans lequel je raconte mon enfance. Cependant, je ne peux pas écrire et jouer en même temps. Quand je commence un livre, je me retire dans ma maison dans la Creuse, tandis que Paris, c’est pour l’actrice! D’ailleurs, je ne me risquerai plus à faire les deux pour une question de santé. Pour mon avant-dernier livre, «Allons voir plus loin, veux-tu?», j’ai voulu écrire jusqu’à la veille du tournage d’une série. Du  our au lendemain, j’ai pris trois points de tension. En fait, la comédie est un métier très physique et tourné vers  l’extérieur. Avec l’écriture, on est dans le silence. Difficile de faire fonctionner les deux roues en même temps !

Vous soutenez l’association le «Rire médecin» qui envoie des, clowns au chevet des enfants malades et vous êtes marraine de «SOS Village d’enfants». Pourquoi ce choix ?
Je me souviens d’une petite fille de 11 ans hospitalisée depuis 3 ans qui racontait comment les clowns avaient chaque semaine changée de rôles pour la faire rire… Cela m’a touchée. Quant à «SOS Village d’enfants», c’est plus personnel. Lorsque mes parents sont morts, ma soeur et moi avons été séparées avec les dégâts que vous imaginez… Dès lors, je me bats pour que l’on ne sépare pas les fratries.

Que pensez-vous du public belge ?
Les Belges sont plus souples dans l’acceptation des styles différents, plus aptes à rire d’un texte grinçant et à passer la frontière du fantastique…


Une interview de Françoise Bouzin - Photos Cosimo mirco magliocca (Octobre 2006)